Il y a des films qui ne vous quittent pas.
Je suis allée seule au cinéma voir Lire Lolita à Téhéran.
Un rituel que j’affectionne particulièrement, surtout depuis que je suis devenue maman : prendre un moment pour moi, m’immerger dans une histoire, sans interruption, sans bruit, sans rôle à jouer. Juste moi, face à l’écran.
Et cette fois, ce n’était pas juste un film. C’était un écho. Une onde. Un souffle venu de loin.
J’ai vu Lire Lolita à Téhéran récemment, un film délicat et puissant qui m’a profondément marquée. Pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus, je vous invite à découvrir cet article du site IranCinePanorama, qui revient sur sa sortie et son contexte.
Dès les premières scènes, j’ai senti monter les larmes. Pas seulement parce que ce film parle de l’Iran, de littérature, de censure et de liberté. Mais parce que je n’ai cessé de penser à elle.
À celle que je n’ai jamais connue.
Ma grand-mère maternelle : Effat Mahdavi.
Douze enfants, et le silence en héritage

Effat Mahdavi.
Un prénom et un nom que je murmure de plus en plus souvent en écrivant.
Elle a eu douze enfants. Et chacun d’eux s’est construit, avec dignité, malgré la guerre, l’exil, les pertes.
Je suis l’un des maillons de cette chaîne.
Moi, née en France, élevée dans un entre-deux de langues et de cultures. Avec le français appris à l’école, et le persan transmis dans l’intimité des repas, des prières, des souvenirs murmurés entre femmes.
Je ne sais presque rien de sa vie intime.
Je ne connais ni son rire, ni sa voix.
Et pourtant, elle vit en moi.
Depuis un an, j’ai commencé à écrire un livre sur elle.
C’est une quête. Une manière de la faire exister, de la rencontrer autrement, à travers les silences, les creux, les souvenirs flous. Comme si, en retraçant son existence, je reconstituais une partie de la mienne.
Transmettre, même sans mots
Dans le film, Golshifteh Farahani incarne une femme qui enseigne la littérature clandestinement à de jeunes femmes.
Elle parle d’amour, d’exil, de liberté intérieure.
Ces scènes ont réveillé quelque chose de profondément enfoui en moi.
Effat n’a peut-être jamais lu Lolita.
Elle n’a peut-être jamais étudié les grands textes.
Mais elle a enseigné à sa manière.
Elle a résisté sans bruit, aimé sans condition, transmis sans discours.
Sa maison était une école.
Sa vie, une leçon de courage.
Ses enfants, ses élèves.
Je suis professeure, par conviction et héritage
Aujourd’hui, je suis professeure de français langue étrangère, par la médiation culturelle.
Je construis des ponts entre les langues, les histoires, les exils.
Et j’accompagne, à mon tour, ceux qui – comme mon compagnon – reprennent le chemin de l’apprentissage, parfois après des années de rupture.
Lui a fui l’Afghanistan à pied, en passant par Téhéran, Istanbul, jusqu’à la France.
Il veut aujourd’hui s’inscrire en DAEU pour obtenir un équivalent du bac.
Et moi, je l’encourage chaque jour.
Parce que je crois profondément que l’instruction est une manière de se relever, de se libérer, de se reconstruire.
L’héritage invisible
Je ne t’ai jamais connue.
Mais je te reconnais.
Dans les femmes du film.
Dans les luttes silencieuses.
Dans mon propre engagement.
Et dans ce que je transmets à mes enfants : le courage d’être soi, le goût de la liberté, l’amour des mots, et cette capacité à marcher droit, même quand la route est obscure.
Effat Mahdavi,
Tu as transmis la vie.
Et moi, j’en fais quelque chose de beau.
Aujourd’hui, je construis ma propre famille, dans une recomposition douce et patiente, aux côtés d’un homme qui, lui aussi, a quitté son pays, a laissé derrière lui des racines qu’il espère retrouver. Je l’aide à reprendre ses études, à retrouver une place dans un pays qui n’est pas encore le sien. Comme Effat l’a fait pour ses enfants, je veux transmettre à mes enfants la valeur de l’effort, du savoir, de la dignité.
Alors oui, je ne l’ai jamais connue.
Mais je suis persuadée qu’elle m’entend.
Et que quelque part, elle est fière.